Bataille d'Orthez - 27 février 1814

 

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Témoignages sur la bataille d'Orthez

 

Edouard Lapène
(Capitaine d'artillerie dans la division du général Taupin)

 

« Cependant, le 26 dans la soirée, le maréchal Soult apprend, non sans quelque surprise, du colonel du 15e de chasseurs à cheval, chargé de garder avec son régiments les gués, et d’observer le cours de la rivière depuis Puyoo jusqu’au confluent avec l’Adour, que le corps de cavalerie britannique de sir Stapletton-Cotton, et les troupes d’infanterie du lieutenant général Picton, ont passé le Gave au-dessous du pont rompu de Bourenx, et paraissaient sur le plateau de Baïgts. Un second rapport, non moins alarmant, préviens le maréchal que le corps commandé par Beresford est parvenu, dans la nuit précédente, à franchir aussi le Gave au-dessous de Puyoo, proche de Peyrehorade, à Cauneille et à la Hontan. Enfin le général Goy visitant, le 26 à midi, avec son chef d’état-major, les postes de la division le long de la rivière, avait aperçu distinctement des mouvements de troupes qui semblent se diriger sur le gué de Bourenx, sans doute pour rejoindre les colonnes jetées déjà dans la journée sur la rive droite. Ces divers renseignements, parvenus à la fois au quartier-général, mettent de suite à découvert les projets des coalisés ; il est même à craindre qu’après s’être emparés des chemins et des hauteurs à l’ouest d’Orthez, ceux-ci ne parviennent, au moyen d’un large mouvement, à tourner les positions de l’armée française en arrière de cette ville : enveloppée alors par des forces bien supérieures, cette armée risque de perdre, en un seul jour, le fruit de la belle résistance qu’elle a jusqu’à ce moment opposée à l’ennemi.
    Aprés des marques non équivoques de mécontentement données par le général en chef au colonel du 15e de chasseurs, sur la lenteur de cet officier à signaler les démonstrations des alliés et leurs progrès sur la rive droite du Gave de Pau, le maréchal ne dissimule point combien la situation de l’armée française est critique : il doit se décider sur-le-champ à présenter la bataille ou à battre en retraite. Cette dernière détermination prise, l’armée française est ramenée sur la ligne de la Garonne. Le général en chef ne réalise au plus que 32,000 combattants. Mais plein de confiance dans ses troupes, il prend la résolution vigoureuse de prévenir, s’il en est encore temps, le passage du Gave par ce qui peut rester d’armée ennemie sur la rive gauche, et de marcher en outre sans remise à l’attaque des masses déjà réunies en avant de Baïgts.
    A six heures du soir, l’aile droite de l’armée (division Taupin et Rouget) est portée, par le lieutenant-général Reille, sur la route de Dax ; le général Taupin occupe, à l’extrémité droite, le village de Saint-Boës ; le général Rouget s’établit sur le plateau situé en arrière ; la brigade Paris forme la réserve de cette aile et suit le mouvement. Le centre commandé par le lieutenant-général Drouet-d’Erlon, entre presque aussitôt en ligne ; la division Darmagnac, qui en fait partie, est placée à gauche de la division Rouget, sur les hauteurs en avant de la route de Dax et au nord de celle de Bayonne. La division Foy, qui est restée presque toute la journée sous les armes, continue à occuper ses positions de la veille sur la route de Bayonne, la droite appuyée au général Darmagnac, la gauche au Gave. Les divisions Harispe et Villate, placées sous les ordres du général Clausel, forment la réserve. La première, développée sur la rive droite du Gave, est destinée à défendre le passage de la rivière en amont d’Orthez ; la division Villate prend position au dessus du château, au village de Rontun, pour garder la route de Saint-Sever ou de Mont-de-Marsan, qui est celle de la retraite. Une portion de la cavalerie légère du général Soult est chargée d’observer le corps du lieutenant-général Hill, encore stationné en face d’Orthez, sur la rive gauche du Gave ; tandis que le général Berton, avec quatre escadrons de chasseurs, un régiment d’infanterie légère et deux pièce de canon, placé sur la route de Toulouse entre Pau et Lacq, doit garder aussi le passage de la rivière. L’artillerie de l’armée, qui se compose de 50 bouches à feu, et portée, par le général Tirlet, sur les points de la ligne où les effets du canon peuvent être les plus efficaces ; sur ce nombre, 16 pièces (celles du général Berton comprises) sont détachées, avec les troupes du lieutenant-général Clausel, pour seconder ses mouvements.
    Le terrain occupé à l’ouest d’Orthez par les troupes de l’aile droite et du centre de l’armée française, était une suite de rideaux inégaux, d’un accès assez difficile, et d’environ trois quarts de lieue d’étendue. La droite de ce côté s’appuyait à Saint-Boës, la gauche au gave. Cette position était entièrement de circonstance : on a vu que le général en chef voulait tomber brusquement sur la portion d’armée ennemie qui venait d’effectuer le passage, et qu’il suppose encore réunie sur le plateau de Baïgts ; mais les alliés avaient mis une telle promptitude, le 26 et la nuit suivante, à franchir la rivière, que leur armée se trouvait en mesure, le 27 au point du jour, de prendre elle-même l’offensive et de marcher en avant. Le général français, malgré ce contre-temps, n’en persiste pas moins à disputer le terrain pied-à-pied, et prend la résolution spontanée de défendre la ligne ou l’armée a, la veille, établi ses bivouacs. Une forte reconnaissance est poussée vers l’ennemi en avant de Saint-Boës, le 27 à sept heures du matin ; mais ce mouvement n’a pas de suite ; on procède même à une marche rétrograde vers ce village, lorsqu’il n’est plus que douteux que la majeure partie de l’armée coalisée, après avoir passé le Gave, marche à l’attaque de notre ligne dans différentes directions.
    Les avant-postes restent calmes jusqu’à 8 heures du matin. L’ennemi, dans l’intervalle, fait avancer des masses imposantes par la route de Peyrehorade et de Bayonne. Ses premières colonnes paraissent néanmoins sur le chemin de Dax ; ce sont les mêmes qui, sous les ordres de sir William Beresford, avaient franchi le Gave au-dessus de la première ville que nous venons de nommer. L’intention de ce maréchal, alors à la tête de deux divisions d’infanterie anglo-portugaise et d’une brigade de cavalerie, était de tourner notre droite, confiée au général Taupin, et de rejeter l’armée française sur Orthez ; de s’emparer ensuite de la route de Mont-de-Marsan, et de nous couper la retraite. Nos avant-postes  se replient sur les premières maisons de Boës, et ce village est à l’instant occupé par le 12e d’infanterie. Le général Rey (1er brigade de la division Taupin), fait mettre sans délai en batterie 4 pièces qui commencent l’action. L’ennemi nous oppose aussi du canon ; mais son artillerie est de suite démontée et cesse le feu. A la suite d’un tiraillement de courte durée, le maréchal Beresford fait vivement aborder le village de Saint-Boës, et parvient à débusquer le 12e, qui se retire en bon ordre et rejoint sa brigade, rangée en bataille en arrière du hameau. Peu d’instants après, le lieutenant-général Drouet-d’Erlon, s’engageait aussi avec trois divisions anglaises (Walker, Picton et Clinton) arrivant de Baïgts par le grand chemin de Bayonne. La division Rouget, placée entre les généraux Taupin et Drouet-d’Erlon, étant encore en repose, ainsi que la brigade Paris en seconde ligne sur le même point.
    Dans ce moment, un aide-de-camp vient annoncer au maréchal, dont toute l’attention se porte sur Saint-Boës, qu’une des divisions de la gauche ne tardera pas à être fortement engagée. « Dites à votre général, repart vivement celui-ci, qu’il doit répondre à l’appel que nos braves compagnons nous font de l’armée du Nord ; il faut attendre l’ennemi à la baïonnette(*). »
    Cependant sir William Beresford, maître des premières maisons de Saint-Boës, veut poursuivre ses succès et marcher en avant. Les maisons du village, situées sur un plateau peu étendu, et rangées avec assez d’ordre à droite et à gauche de la route, forment une espèce de défilé ; ce défilé se prolonge aussi au delà du hameau, sur une langue étroite, bornée des deux côtés par des ravins, qui empêchent la colonne d’attaque de se déployer avec avantage. Cette circonstance est mise à profit ; nos canons, en batterie sur le front de la division Taupin, sont chargés à mitraille et attendent le moment où l’ennemi débouchera du village en colonne serrée. Celui-ci se montre enfin, et les pièces commencent le feu. Les Anglais, foudroyés par ces décharges meurtrières reçues à bonne distance, s’arrêtent tout-à-coup chancellent ; à une seconde décharge, ils font volte-face. Abordés au même instant à la baïonnette par la division Taupin, ils laissent le village rempli de leurs morts. Trois fois l’ennemi marche avec la plus grande assurance contre les batteries qu’il est sur le point d’enlever ; trois fois les régiments de la division, secondés par leur artillerie, exécutant la même manœuvre ; obtiennent le même succès.
    La défense à la gauche était soutenue avec une égale vigueur. Placé à la tête de sa 1er brigade, dirigée par le général Fririon, le général Foy, en position sur la route de Bayonne, avait jusque-là repoussé les attaques opiniâtres de l’ennemi, et conservé son terrain. La 2e brigade (général Berlier), en arrière et à droite, était restée en colonnes à hauteur de l’ancien couvent des Bernardines, entre la route de Bayonne et celle de Dax, prête à agir. .L’artillerie française gardait en outre partout une supériorité bien marquée ; et la victoire, encore indécise, allait visiblement pencher pour nous, quoique l’ennemi, deux fois plus nombreux, développât sans cesse de nouvelles forces sur tous les points d’attaque.
    Lord Wellington, rebuté du mauvais résultat des mouvements dirigés contre Saint-Boës, et de la résistance opposée à sa droite, sur la route de Bayonne, allait, dit-on, suspendre son agression et ordonner la retraite ; il se décide cependant à faire donner sa réserve, et à tenter, par un dernier effort, de ramener la victoire dans ses rangs. La nature du terrain oblige la division Rouget de sa gauche, au point où elle se raccorde avec la division Darmagnac : l’objet du général anglais est de pénétrer entre ces deux divisions, et de séparer l’armée française en deux. La forte réserve d’infanterie et de cavalerie dont lord Wellington peut encore disposer, lui permet de donner suite à son projet sans dégarnir sa ligne d’attaque ; hors de cette condition, l’entreprise serait des plus hasardeuse.
    Ce général en chef fait donc avancer sur la division Darmagnac la cavalerie des généraux Cotton et Sommerset, et porte sans délai la division Alten contre la gauche du général Rouget. Celui-ci dirige un feu meurtrier de son artillerie, tirant à la mitraille sur les têtes de colonnes ennemies, au moment où elles se montrent au-dessus des sinuosités du terrain qui d’abord nous dérobent leur marche. Ces têtes de colonnes sont renversées et disparaissent ;  mais leurs rangs éclaircis se repeuplent sur-le-champ de nouvelles troupes ; et ces renforts, malgré les pertes qu’ils essuient, continuent de marcher en avant avec une rare intrépidité. Le projet de l’ennemi va donc réussir, et les divisions françaises sont sur le point d’être séparées.
    Le général Darmagnac, hors d’état, malgré la bonne contenance de ses troupes, de prévenir le danger qui le menace, ordonne la retraite. Toute cette gauche eût été infailliblement compromise, si elle n’avait pas suivi ce mouvement rétrograde, puisque les divisions Darmagnac et Foy allaient se trouver coupées du reste de l’armée, et rejetées ensuite le Gave. Cette dernière division était d’ailleurs, dans l’intervalle, fortement engagée de front contre la colonne du lieutenant-général Picton ; les ravages du canon ennemi sur la brigade Berlier engagèrent même le général qui la commandait de se défiler derrière les murs de l’ancien couvent des Bernardines, et de se faire aussi un abri des maisons qui avoisinent cet édifice. En avant de ces points, la brigade Fririon défendait encore avec vigueur les mamelons sur lesquels elle était assise ; mais le général Foy venait d’être frappé presque mortellement d’une balle à l’épaule droite, et le départ du champ de bataille d’un chef aussi intrépide avait jeté dans les rangs un découragement sensible, dont les suites pouvaient être funestes : cet évènement malheureux était donc un nouveau motif pour accélérer la retraite des troupes du centre.
    Le mouvement se fait avec ensemble ; les 6e léger ; 59e et 69e de ligne (Brigade Fririon), résistent aux efforts multipliés de l’ennemi, en cédant le terrain peu à peu, et se retirent en ordre de l’autre côté de la grande route d’Orthez à Dax. Cette retraite est protégée par les 36e et 65e (2e brigade), qui, déployés alors à droite et à gauche des maisons qui leur ont jusque-là servi d’abri, opposent une vigoureuse résistance. La retraite des deux divisions du centre était même presque entièrement exécutée, que le 36e, commandé par le brave colonel Maitrot, défendait avec opiniâtreté sa première ligne de bataille ; cette vaillante troupe dut à la fin céder à la force des choses, et se replier sur sa division, dont le général Fririon venant de prendre le commandement.
    Le lieutenant-général Drouet-d’Erlon, refusant sa gauche, se retire parallèlement au Gave, et abandonne tout-à-fait les routes d’Orthez à Bayonne et à Dax. Ce mouvement rétrograde isolé ne laisse pas le temps au général en chef de donner des ordres, pour que la retraite de tous les corps d’armée s’effectue simultanément ; le lieutenant-général que nous venons de nommer, forcé d’opérer la sienne en arrière d’Orthez, entre le château et la route de Dax, sur un terrain inégal, coupé de ravins et couver de broussailles, ne peut lui-même, empêché par ces difficultés, conserver l’ordre parfait qui jusque-là avait régné dans les deux divisions placées sous son commandement.
    Cependant le général Harispe, chargé de la défense d’Orthez, et resté une partie de la journée en repos, venait d’entrée en ligne contre une portion de la colonne du lieutenant-général Hill. Celui-ci, descendue des hauteurs de Départ, avait passé la rivière au gué, au-dessus de Souhars, à quelques centaines de toises d’Orthez, malgré la résistance de deux bataillons de la brigade Baurot, qui, trop peu nombreux, s’étaient à la fin décidés à la retraite. Le général Harispe, dont les communications avec la route de Mont-de-Marsan risquent d’être coupées, si les coalisés, après un grand effort sur sa gauche, parviennent à s’emparer, en arrière d’Orthez, du village de Sallespice, placé au point de réunion des chemins que doit suivre l’armée française ; Harispe, disons-nous, reçoit du lieutenant-général Clausel l’ordre de céder le terrain. Cette retraite s’opère avec régularité ; mais le canon du général Harispe, engagé dans un terrain peu favorable et mal reconnu, ne peut rendre qu’un médiocre service : trois pièce restent même au pouvoir de l’ennemi, sans avoir agi assez utilement pour nous dédommager de leurs pertes.
    Durant l’exécution de ces mouvements sur la gauche de l’armée française, les divisions Rouget et Taupin, et la brigade Paris, étaient encore, à deux heures et demie du soir, inébranlables dans leurs positions, à l’extrême droite de la ligne. Les alliés, maîtres cependant du terrain que la retraite du lieutenant-général Drouet-d’Erlon leur avait laissé, se renforçaient sur la gauche de Rouget, et s’avançaient dans un ordre menaçant vers la rampe qui forme, à l’ouest d’Orthez, la route de Dax. Le général Soult donne aussitôt au chef d’escadron Leclerc, du 21e de chasseurs à cheval, de charge l’ennemi par cette route. Cette opération, exécutée avant autant de succès que de bravoure, fait mettre bas les armes à un bataillon ennemi. Toutefois, l’escadron emporté par son ardeur, s’engage ensuite dans un chemin creux et inconnu, et les chasseurs essuient, en cherchant à rentrer dans la ligne, une décharge meurtrière de mousqueterie fait à bout portant par des Anglais embusqués sur ce point. Les prisonniers sont abandonnés, et un petit nombre de braves de l’escadron parvient seul à se dégager, et à rejoindre la division. La présence des coalisés, à gauche et presque sur les derrières des troupes du lieutenant-général Reille, force celui-ci à ordonner la retraite dont les autres corps lui ont donné le signal. Le général Rouget se dirige presque aussitôt, mais sans précipitation, vers un chemin à angle droite sur la route de Dax, désigné pour cette retraite. L’ennemi reste dès ce moment maître de la route, car la brigade Paris, après lui avoir fortement disputé cette possession, avait été forcée elle-même de se replier.
    Le général Taupin faisait encore face aux coalisés sur cette route, mais perpendiculairement à la direction qu’elle suit. Placé, suivant son habitude, à la tête des tirailleurs de la division, Taupin portait, depuis le début de la journée, toute son attention sur les attaques vigoureuses du maréchal Beresford contre le village de Saint-Boës, et secondait avec ses régiments les effets meurtriers de son artillerie : celle-ci, trois fois presque entourée, comme il a été dit, avait trois fois, par l’énergie et la justesse de son feu, repoussé l’ennemi, et laissé les Français maîtres du cham de bataille. Le général Taupin était donc étranger à la marche rétrograde exécutée derrière lui par les divisions du centre, et ensuite par les troupes des généraux Rouget et Paris, dont le résultat est la présence des coalisés sur la route de Dax, et en queue des troupes françaises.
    Les communications sont dès-lors interrompues entre nous et le reste de l’armée ; le général en chef voit la division Taupin presque entourée ; il est forcé de l’envisager comme perdue, et déjà le général Béchaud, commandant une de nos brigades, vient de rester mort sur le champ de bataille. L’ennemi déploie cependant ses colonnes en face, sur les derrière et sur le flanc gauche de la division Taupin ; il dirige en outre, sous nos yeux, des masses pour la tourner par la droite. Alors seulement nos troupes, qui viennent de rentrer pour la quatrième fois victorieuses dans Saint-Boës, jettent un regard en arrière, et aperçoivent distinctement les Anglais, maîtres de la route de Dax, s’avancer pour nous cerner. Les cris « nous sommes coupés ! l’ennemi est sur la route ! » commencent à se faire entendre dans les rangs. Nos régiments, déjà tourné, sans espoir aucun de salut s’ils restent en place et s’obstinent à prolonger une défense inutile, abandonnent à la fin la position si glorieusement défendue durant près de huit heures, et se jettent, à droite, dans un ravin profond, seule issue qui leur reste encore. Sir William Beresford, dégagé pour lors de tout obstacle, opère sa jonction avec les généraux Picton et Alten sur la crête des hauteurs, et le champ de bataille reste à l’ennemi.
    Les coalisés, maîtres de toutes les éminences et de la route de Dax, marchent vivement sur la trace de nos colonnes pressées et se retirant avec peine par un chemin creux et étroit, et nous écrasent du feu de leur artillerie, qui, à cette portée, était des plus meutriers. La division Villate, seule troupe qui n’eût point été engagée, est conduite par le général Clausel, pour soutenir la retraite et protéger le mouvement de l’aile droite et du centre de l’armée française, sur la route de Saint-Sever ; mais, avant d’atteindre cette route, les troupes resserrées dans un chemin encaissé, raboteux, où toutes les armes sont obligées de marcher confondues, foudroyées en outre par l’artillerie ennemie, éprouvent un moment de désordre. La confusion dans les rangs ne tarde pas à augmenter, quand on apprend que les corps du lieutenant-général Hill, qui, d’après ce qui précède, avait franchi le Gave au-dessus de Souhars, d’avance avec rapidité par cette même route. Le moment est critique ; la précipitation augmente, et nos troupes éprouvent un assez long intervalle de désunion et de désordre que rien ne peut prévenir. L’armée française regagne dans cet état la grande route de Saint-Sever, au village de Sallespice, avant que la colonne sur général Hill puisse atteindre ce même point. La retraite se poursuit alors avec rapidité, mais aussi avec plus d’ordre ; et l’armée arrive, vers six heures du soir, au défilé de Sault-de-Navailles.
    Cette ville, située sur le Luy-de-Béarn, n’offrait qu’un pont de bois pour le passage de la rivière : l’armée française risque ainsi d’être atteinte et chargée par la cavalerie ennemie ; mais la rive droite du Luy domine l’autre, et offre des éminences que l’on met sur-le-champ à profit pour arrêter les alliés. Sur l’ordre du maréchal, le général Tirlet devra sans délai faire mettre en batterie 12 pièces sur les hauteurs de Sault-de-Navailles, à gauche de la route de Saint-Sever. Plusieurs compagnies de sapeurs du génie, jusqu’à là en réserve, sont immédiatement dirigées, à droite de la route, vers un mamelon surmonté d’un bouquet d’arbres ; avec ordre de défendre cette position à outrance. Ce monticule sert bientôt de point de réunion à plusieurs régiments et il s’y forme en peu d’instant une force imposante. Ces mesures, d’où dépendent en grande partie le salut de l’armée française, s’exécutent avec une rare précision. Malgré les encombres de voitures, d’équipages et d’artillerie que présentent les rues étroites, tortueuses et en contre-pente rapide de Sault-de-Navailles, les 12 pièces sont mises en batterie par le général Tirlet lui-même, et commencent un feu des plus vifs sur la cavalerie anglaise qui presse notre arrière garde.
    Arrêtes par ces obstacles imprévus, l’ennemi concentre ses forces, pour marcher avec ordre au passage de la rivière qui le sépare de nous. Les Français, durant cet intervalle, traversent le Luy sur le pont et dans les gués adjacents, et prennent de suite la position sur l’autre rive. L’intention du général en chef étant, au reste, de ne garder Sault-de-Navailles que le temps nécessaire pour mettre à couvert les parcs d’artillerie, les équipages et les blessés, l’armée française se porte, à l’entrée de la nuit, à deux lieue en arrière, à Hagetmau, où le quartier-général venant de la précéder. La division Villate, et la division de cavalerie légère du général Soult, sont chargées de garder Sault-de-Navailles jusqu’à dix heures du soir ; c’est-à-dire, le temps nécessaire à la rupture du pont, suivant l’ordre donné au premier de ces généraux.
    Sault-de-Navailles est aussi occupé plus tard par le général Harispe. L’arrière-garde de ce dernier, formée d’un bataillon de gardes nationales du pays, et de détachements du 115e de ligne, avait soutenu chemin faisant un engagement sérieux contre la cavalerie ennemie, et sa perte s’était élevée à 200 hommes. Le général Berton se rend de son côté à Hagetmau, par Mant et Samader, après avoir réuni à lui un bataillon de conscrits qui allait rejoindre à Orthez. Placé, comme il a été dit, à Lacq, sur la route de Pau, pour observer le cours du Gave, ce général avait ordre de se retirer par Orthez sur Sault-de-Navailles, quand il y serait forcé par des masses ; mais la prompte retraite de notre aile gauche, après que les coalisés eurent passé le Gave, enleva au général français l’occasion de tomber sur leur flanc droit ; Berton dut se border, en conséquence, à marcher parallèlement à bous dans sa retraite sur Hagetmau, en menaçant toutefois la droite de l’ennemi.
    La position occupée par l’armée française, dans la journée du 27, n’était point, d’après ce qui précède, celle que son général en chef voulait prendre : l’inébranlable résolution de disputer, malgré l’inégalité du nombre, le terrain pied à pied, quand l’ennemi se porta brusquement en avant, les 27 au matin, fut, on le répète, l’unique motif qui décida le maréchal à rester sur place, et à se mettre de suite en mesure de défense pour livrer une action générale. Il serait donc superflu de signaler ici les défauts d’une position qui ne pourrait passer pour militaire, et que laquelle les circonstances seules nous firent jeter les yeux.
    Les deux armées se battirent à Orthez avec la plus grande intrépidité ; et, quoique l’ennemi fût deux fois à peu près supérieur en nombre (il présente en ligne 70,000 hommes, et les Français mois de 35,000) le succès de la bataille resta long-temps incertain. Il fut décidé en faveur des coalisés, par la manœuvre audacieuse exécutée entre les divisions Rouget et Darmagnac, et aussi par le passage du Gave de Pau, au-dessus de Souhars. La bonne contenance des Français dans cette affaire mérite d’autant plus d’éloges, qu’aux motifs de découragement puisés dans le souvenir d’une suite non interrompue d’actions malheureuses, se joignait chez eux la perspective désespérante d’efforts toujours infructueux, luttant contre un ennemi qui opposait sans cesse plus du double de combattants.
    Nous perdîmes, dans la journée du 27, le général de brigade Béchaud, resté mort sur le champ de bataille ; le général Foy y reçut une blessure très grave qui nous causa long-temps de vives inquiétudes sur des jours aussi précieux. Mais le sort, après l’avoir admis durant 22 ans à partager la gloire et les périls de ses frères d’armes sur les champs de bataille, lui réservait des triomphes non moins brillants dans une nouvelle carrière ; et son langage à la tribune nationale, devait nous révéler un de nos plus éloquents orateurs. Notre perte peut s’évaluer à 1500 morts et à 2500 blessés, dont 1500 restèrent au pouvoir des étrangers. La perte de ceux-ci fut plus considérable, on la porte à 2000 morts ; nous apprîmes en outre de militaire faits prisonniers dans cette journée et échappés plus tard des mains de l’ennemi, qu’il fut recueilli à Orthez 4000 coalisés blessés et seulement 1500 Français. Ceux-ci, condamnés à être prisonniers dans leur propre pays, quelques-uns même dans leurs foyers, trouvèrent chez les habitants de cette ville de dignes compatriotes. Les blessés, accueillis par les particuliers, furent l’objet de soins affectueux : ces derniers allégèrent de leur mieux les peines dont nos soldats étaient accablés, et favorisèrent même l’évasion de quelques-uns d’entreux qui vinrent, quelques jours après, proclamer à leurs drapeaux l’humanité de leurs compatriotes d’Orthez.
    Le même jour que nous livrions l’affaire de ce nom, le général espagnol Morillo envoyait une sommation menaçante au gouverneur de Navarreins ; celui-ci y répondit à coups de canon. La place de Jaca capitula aussi le 27 février : des mouvements confiés au général Paris, avaient été tentés à la fin de la campagne précédente, dans le dessein de réapprovisionner ce poste important : mais ce projet ne put réussir, et la place dut se rendre faute de vivres ; aux termes de la capitulation, la garnison rentra en France sur parole.»

(*) : Les armées françaises venaient de remporter sur les coalisés, dans le Nord, la victoire de Montereau le 18 févier.

 

Sources : "Campagnes de 1813 et 1814 sur l'Ebre, les Pyrénées et la Garonne" - Edouard Lapène - Paris - 1823